Petit Historique du Pigeon Voyageur

Pigeonnier arabeL'instinct et la volonté qui poussent nos pigeons à revenir vers leur point de départ sont connus et utilisés depuis les premiers temps de la civilisation. Les Égyptiens, les Perses, les Chinois et les Grecs, utilisaient les pigeons voyageurs comme messagers lors de leurs campagnes de guerre, ou pour la politique et le commerce. Aristote, qui vivait au IIIème siècle avant J-C, parlait déjà des pigeons Grecs. Des serviteurs colombophiles étaient spécialement affectés à leurs soins et à leur transport. Après sa victoire aux jeux olympiques, un athlète de l'île d'Égine, lâcha un pigeon porteur d'un ruban pourpre qui repartit vers son île annoncer sa victoire. Les Romains comprirent dès le début de leurs conquêtes les avantages qu'ils pourraient en tirer. Ils bâtirent d'énormes pigeonniers pouvant contenir 4 à 5.000 pigeons. Ils se servaient des pigeons messagers en toutes occasions. Des pigeons teints de différentes couleurs étaient relâchés après les courses de chars pour avertir les propriétaires de leur victoire ou de leur défaite.

Le siège de Modène par Antoine, en l'an 43 avant J.-C., vit l'utilisation du pigeon comme messagers, appliqué pour la première fois à l'art militaire. Le consul Hirtius envoya à Decius Brutus, commandant de la ville, une lettre attachée au cou d'un pigeon par un fil de soie. A son tour Decius Brutus dépêcha au camp des consuls un pigeon porteur d'une missive attachée à l'une de ses pattes. Pline l'Ancien a fait allusion à cette toute nouvelle manière de correspondre avec les siens en temps de guerre, lorsqu'il décrit dans son livre "Histoire Naturelle" : "A quoi servent les remparts et les sentinelles et le blocus, quand on peut faire parvenir des nouvelles à travers l'espace.".

Pigeonnier médiéAu Moyen-Age, l'élevage des pigeons devient un privilège nobilaire par Charlemagne. Les abbayes, les fermes seigneuriales et les châteaux possèdent alors quasiment tous leur propre colombier, pouvant contenir jusqu'à 5 000 pigeons. L'importance du colombier permettait d'attester de la puissance et de la richesse du maître du domaine. Les seigneurs les employaient comme messagers commerciaux, politiques et porteurs de renseignements en temps de guerre.

Pigeonnier médiéLes pigeons ont également servi pendant les Croisades. Lorsque les chrétiens arrivèrent en Orient pour conquérir Jérusalem, il existait un service de poste par pigeon chez l'ennemi. Nous pouvons citer un passage du poème du Tasse "La Jérusalem est délivrée", montrant l'importance de l'utilisation du pigeon chez les musulmans à l'époque, dans lequel l'auteur écrit : "Pendant que les chrétiens se préparent à l'assaut et les infidèles à la défense, on aperçoit un pigeon qui fend les plaines de l'air et dirige son vol vers les remparts de Saline. Les ailes étendues, il plane sur l'armée chrétienne. Déjà, cet étrange courrier du sein des nues s'abaisse vers la cité. Mais soudain, un faucon au bec tranchant, à la serre cruelle, fond sur l'oiseau timide. Il le poursuit, il le presse et déjà il est prêt à le déchirer. Le pigeon tremblant s'abat et va chercher un asile sur les genoux de Bouillon. Le héros le reçoit et le sauve. Mais au bout d'un fil attaché à son cou, pend un billet qui est caché sous son aile. Godefroy le prend, l'ouvre et lit ces mots : "Le général d'Égypte au Roi de Palestine - Salut - Ne laisse point, Seigneur, abattre ton courage. Résiste encore 4 à 5 jours. Je viens délivrer les murs. Tes yeux verront tomber tes ennemis."

La poste par pigeon fut également mise à l'honneur par le Sultan Saladin, lors du siège de Ptolémaïs. C'est par ce même moyen que le débarquement de Saint-Louis en Égypte fut annoncé au Sultan du Caire et que furent appris les résultats de la bataille de Mansourah, si désastreuse pour les chrétiens.

Le Sultan Noureddin (1146-1173) avait également apprécié tous les avantages que pouvait procurer la poste par pigeons afin d'être informé au plus tôt de ce qui se passait dans ses états. Par ses soins, le service des postes avait été complètement organisé. Des tours servant de colombiers avaient été élevées de distance en distance sur toute l'étendue de l'empire. Chaque colombier avait son directeur et ses veilleurs qui attendaient à tour de rôle l'arrivée des pigeons. On y trouvait aussi des domestiques et des mules pour les échanges réciproques de pigeons. Cette institution des colombiers présentait un si grand intérêt pour la sûreté et la tranquillité publique, que les dépenses engagées étaient considérables. Les lettres destinées à être transmises étaient attachées sous l'aile du pigeon et souvent, en duplicata, confiées à des pigeons différents. Arrivées à destination, elles étaient remises par le veilleur au sultan lui-même, qui seul, avait le droit de les détacher. Les pigeons étaient alors appelés les anges du roi et les plus rapides étaient hors de prix.

Les pigeons voyageurs furent également utilisé par les corsaires de Dunkerque et de Saint-Malo, patrie du célèbre Sourcouf, mais avec une technique particulière. Elle consistait à envoyer une barque de reconnaissance au large avec quelques pigeons. Dès qu'une proie était repérée, on lâchait les pigeons. Ceux-ci indiquaient, en tournant pour s'orienter, la position du bâtiment convoité.

Il fallut attendre la Révolution de 1789 pour voir abolir ce privilège. Dans presque tous les cahiers de doléances, on trouve trace de dégâts occasionnés par les pigeons de châteaux aux cultures.

La Révolution donna à tous le droit de détenir des pigeons. Des colombiers se bâtirent un peu partout, surtout pour en retirer de la viande bon marché : le pigeon se nourrissait dans les champs dès les beaux jours et, en les habituant, l'hiver, on pouvait leur faire manger un peu de tout.

Mais le goût du jeu étant très développé à cette époque, des concours sont organisés en 1800 dans le Nord de la France et en Belgique. C'est le début d'une sélection sévère qui aboutira au vrai pigeon voyageur.

Les pigeons furent également utiliser par les financiers, afin de connaître les résultats de la Bourse ou des batailles en premier. C'est de cette manière que Rothschild, apprenant la défaite de Napoléon à Waterloo par pigeon messager, disposa avant tout le monde d'une information qui lui permit une excellente spéculation boursière qui fut à l'origine de sa fortune. Le pigeons étaient aussi utilisés par les marins, qui les lachaient quelques jours avant leur arrivé au port afin de vendre les marchandises que contenait les navires.

Son utilisation la plus connue fut celle pendant les différentes guerres qui nous opposèrent à l'Allemagne.

Pendant le siège de Paris en 1870, 64 ballons chargés de pigeons quittèrent la ville. Ils étaient destinés à rapporter à la capitale, assiégée par les troupes allemandes, des nouvelles du Gouvernement. Les dépêches étaient miniaturisées par un procédé mis au point par le photographe Dragon, qui s'était fait remarquer en réduisant une photo représentant 400 députés sur une pellicule de 2 millimètres carrés. Grâce à ce procédé, chaque pigeon pouvait transporter 3.000 dépêches sur une pellicule de 3,5 mm2. Pendant le siège, les pigeons ont ainsi acheminé 115.000 dépêches officielles et plus de 1.000.000 dépêches privées.

Les pigeons étaient chassés par les Uhlans, lanciers de l'armée allemande et par les paysans qui avaient déclaré la guerre aux pigeons. Leur action avait pris une telle ampleur que Gambetta avait édicté la peine de mort contre quiconque serait surpris tirant sur l'un d'eux.

Six siècles après l'Orient, la France emploie enfin le pigeon voyageur comme porteur de messages. Après la guerre de 1870, l'armée en tire les leçons qui s'imposent. Coetquiden et Montoire deviennent les principaux centres d'instruction colombophile militaire.

Pendant la guerre 1914-1918, l'armée française améliore sa technique : au lieu de colombiers fixes qui se trouvaient soit très loin du front, soit trop près, ils utilisent l'araba, qui avance et recule selon le retrait ou la progression de l'adversaire. L'araba était un autobus à impériale de marque Berliet, transformé en pigeonnier. Le bas servait de réserve de nourriture et de logement pour le soigneur. Les soldats qui s'occupaient des pigeons avaient un très grand rôle et les pigeons revenaient surtout pour eux.

En 1916, on fabrique 16 pigeonniers sur remorque, afin d'améliorer la mobilité. Certains pigeons furent de véritables héros. Le plus connu d'entre eux est "Le Vaillant", matricule 787-15, qui fut lâché du fort de Vaux le 4 juin 1916 à 11 heures 30 pour apporter à Verdun le dernier message du Commandant Raynal. Celui-ci écrivait : "Nous tenons toujours, mais nous subissons une attaque par les gaz et les fumées très dangereuses. Il y a urgence à nous dégager. Faites-nous donner de suite toute communication optique par Souville, qui ne répond pas à nos appels. C'est mon dernier pigeon. Signé : Raynal." Ce pigeon a obtenu la citation suivante à l'ordre de la Nation : "Malgré les difficultés énormes résultant d'une intense fumée et d'une émission abondante de gaz, a accompli la mission dont l'avait chargé le commandant Raynal, unique moyen de communication de l'héroïque défenseur du fort de Vaux, a transmis les derniers renseignements qui aient été reçus de ce officier fortement intoxiqué, est arrivé mourant au colombier."

L'utilisation du pigeon soldat a permis de sauver de nombreuses vies humaines. C'est ainsi que le Capitaine René écrit dans son ouvrage Lorette, une bataille de 12 mois, octobre 1914 - septembre 1915 : "Une unité de chasseurs à pied, engagée à fond, s'est trouvée en pointe et coupée des autres unités. Tous les moyens pour aviser le commandement de cette situation étaient fauchés par les bombardements ou le tir des mitrailleuses. Le téléphone était coupé et la liaison optique impossible en raison de la fumée des éclatements. C'est alors que les chasseurs qui avaient emportés quelques pigeons voyageurs obtinrent de les lâcher avec le message suivant : "Sommes sous le Souchez. Subissons lourdes pertes, mais le moral est très élevé. Vive la France !" Du colombier, le message fut transmis à l'artillerie qui allongea le tir, protégeant ainsi nos chasseurs d'une contre-attaque allemande. Ainsi Souchez fut libéré.

Parmi les pigeons s'étant illustrés durant la Grande Guerre, Cher Ami est l'un des plus célèbres. Il fut lâché par la 77ème division d'infanterie américaine alors qu'elle est cernée par les Allemands afin de demander de l'aide aux lignes alliés. Whittlesey envoie alors des messages par pigeon. Le premier pigeon, portant le message "Beaucoup de blessés. Nous ne pouvons pas évacuer." est abattu. Un second pigeon est envoyé avec le message "Les hommes souffrent. Pouvons-nous avoir un support" est lui aussi tué. Le dernier pigeon, Cher Ami, est alors envoyé, portant dans une canule à sa patte gauche le message "Nous sommes le long de la route parallèle au 276.4. Notre propre artillerie fait un tir de barrage sur nous. Pour l’amour du ciel, arrêtez".

Alors que Cher Ami vole vers sa maison, les Allemands l’aperçoivent et ouvrent le feu durant plusieurs minutes. Les hommes du Lost Bataillon voient Cher ami se faire toucher et tomber au sol, mais celui-ci reprend son vol. Il parvient à regagner son abri au quartier général de la division, couvrant 25 miles en 25 minutes, permettant de sauver la vie de 194 hommes. Durant cette mission, Cher Ami délivre son message bien qu'il ait été touché à la poitrine et à un œil, qu'il soit couvert de sang et qu'une de ses pattes ne tienne plus que par un tendon.

Cher Ami est alors le héros de la 77e division d’infanterie américaine, ce qui lui vaut des soins de la part des médecins du régiment. Ils ne furent pas capables de sauver sa patte, mais lui firent une prothèse en bois.

Pigeonnier médiéPigeonnier médié C'est à l'issue de la Première Guerre Mondiale, que des mémoriaux furent construits, comme on en trouve à Lille ou à Bruxelles, afin de rendre hommage aux pigeons qui ont permis une communication entre le front et l'arrière. De nombreux pigeons furent également décorés par les médailles militaires comme le fut le pigeon Cher ami ou encore "Le Vaillant".

Pendant la guerre 1939-1945, 16.500 pigeons anglais furent parachutés en France, afin de rapporter au commandement allié des renseignements sur les lignes ennemies. Les Allemands avaient spécialement dressé des faucons pour les attaquer en vol. Un jour, six sous-marins allemands se réfugient dans le port de Bordeaux. Les résistants envoient un pigeon messager avertir l'opérateur radio de Toulouse et deux heures plus tard, la RAF largue une pluie de bombes sur les sous-marins. Ce pigeon fut appelé "Le Maquisard".

Un autre pigeon, nommé "White Vision", était affecté à un hydravion de la RAF. Au cours d'une mission dans la tempête, l'appareil tomba dans la Mer du Nord. Les aviateurs lâchèrent le pigeon malgré le brouillard et le froid, porteur d'un message indiquant leur position. "White Vision" remplit sa mission malgré la tempête, et quelques heures plus tard, les aviateurs étaient sauvés.

Construite par les Allemands, la batterie de Merville (Calvados) faisait partie du mur de l'Atlantique et devait repousser toute attaque venue de la mer et plus particulièrement de la plage de Ouistreham. Cette batterie, comme les autres, devait être neutralisée avant le débarquement. Pour cela, on parachuta, la veille au soir, 750 hommes. De lourdes pertes furent enregistrées et il n'y eut que 150 rescapés, sans aucun poste émetteur sur les huit prévus. Cependant, en deux assauts successifs, la 6e division aéroportée britannique réussit à neutraliser les batteries. Le " Signal Officer " Jimmy Loring qui était porteur d'un pigeon dans la poche de son veston le lâcha en lui confiant une mission simple : regagner l'Angleterre et annoncer la nouvelle de la prise de la batterie. Quelques heures plus tard, la BBC annonçait que " le verrou de la libération de l'Europe " avait sauté et que le débarquement pouvait avoir lieu... grâce au pigeon devenu encore le seul moyen de communication opérationnel.